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Malka Marcovich...actualité
21 mars 2009

le mauvais compromis de Durban 2 me fait penser à Munich, interview dans Ripostes laïques

Par Pierre Cassen

Riposte Laïque : Il y a un an, tu nous avais fait part, dans une interview (1), de ton inquiétude devant la préparation de Durban 2. Aujourd’hui, quel est ton regard ? Cela fait plus d’un an que les négociations piétinent. En réalité, dès l’élection du Bureau du comité préparatoire, en août 2007, qui compte la Libye comme présidente, Cuba rapporteur, la République islamique d’Iran comme vice-présidente ou le Pakistan, porte-parole agressif de l’Organisation de la Conférence Islamique, le tableau était planté. On a vu à chaque étape une volonté du bureau de parvenir, sur chaque point, à un consensus, quitte parfois à faire semblant de lâcher du lest comme par exemple sur le lieu où se déroulerait la conférence d’examen dite de « Durban 2 », ou encore le nombre de jours alloués.

Malka Marcovich :

Un certain nombre d’organisations juives, traumatisées par ce qui s’étaient passé en 2001 et l’antisémitisme qui avait explosé lors de la Conférence contre le racisme, à Durban, en 2001, se sont mobilisées assez rapidement.

Notre amie féministe Bernice Dubois s’est impliquée dans le suivi de la conférence dès le départ, et le MAPP (2) a été la seule organisation féministe à intervenir sur les questions liées aux droits des femmes et à s’inquiéter des dérives. La Ligue du droit international des femmes, fondé par Simone de Beauvoir, s’est également investie sur le dossier à sa suite.

La France, qui s’apprêtait à présider à partir de juin 2008 l’Union européenne, et qui souhaitait lancer l’ Union pour la Méditerranée, a déployé toute son énergie à tenter de calmer le jeu. Alors que la délégation française à Genève connaît bien le travail du MAPP sur place, et que sa représentante à demandé un rendez-vous dès septembre 2007 à la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme et au Ministre des affaires étrangères, la requête est restée sans lendemain. Ce qui montre à quel point les questions relatives aux discriminations faites aux femmes semblent secondaire pour le dossier Durban 2, alors que les femmes sont les premières victimes du relativisme culturel.

En effet, le gouvernement français a préféré s’adresser uniquement aux organisations juives en cherchant à les rassurer. C’est lors du dîner annuel du CRIF, en février 2008, que le président Nicolas Sarkozy a lancé ce fameux slogan de lignes rouges à ne pas franchir. Force est de constater que durant plus d’un an les fameuses lignes rouges n’ont jamais été clairement définies et qu’elles ont évolué au gré de l’avancement des négociations.

Ce qui est particulièrement grave, c’est que cette focalisation légitime sur les dérives antisémites a empêché que l’on rende visible les autres scandales du processus. Cela a permis par ailleurs de réécrire l’histoire des événements de 2001. Ainsi, la France, ainsi que le Haut Commissariat aux droits de l’homme, ont prétendu que l’antisémitisme de 2001 n’avait eu lieu que dans le cadre du Forum des ONG, et que les violences avaient été le fait de quelques individus excités. Ce qui est faux.

Par ailleurs on a laissé croire que la Déclaration et la Plateforme d’action (DPA) de 2001 avait été adoptée par consensus. La encore, ce n’est pas la vérité. Tout d’abord, on doit se souvenir que les US et Israël se sont retirés durant les négociations. Le Canada et d’autres pays qui sont restés jusqu’au bout des négociations ont en effet émis des réserves très précises. Il n’y a donc jamais eu de consensus. (voir https://storage.canalblog.com/89/82/412709/37001881.doc ).

La focalisation sur les violences extrêmes qui se sont déroulées à Durban en 2001, a empêché que l’on prenne toute la mesure du danger que constituait cette plateforme pour l’ensemble des principes qui fondent nos démocraties, et en particulier pour la laïcité. Ainsi, la DPA a intronisé les religions « comme valeurs intrinsèques » et « l’islamophobie » a été introduite pour la première fois dans un texte onusien. Même si certains paragraphes de la DPA sont positifs, (je pense notamment à la prise en compte des discriminations que subissent les Roms) il n’en demeure pas moins que cette plateforme a permis de construire le monstrueux édifice constitué de multiples comités de l’ONU qui visent à redéfinir les normes universelles, où la lutte légitime contre le racisme est instrumentalisée pour donner un rôle politique aux religions, en particulier à l’Islam, et à promouvoir le relativisme culturel.

Notre pays, qui continue d’affirmer qu’il y a eu consensus en 2001, porte une grande responsabilité dans les dérives actuelles. Depuis cette époque, la France est régulièrement attaquée sur la laïcité. Dans le meilleur des cas elle brandit la « liberté de conscience » et le respect de la diversité. La plupart des cas elle se taît. Seul Luc Ferry en 2003 a pris fait et cause pour les fondements de ce principe républicain lors de l’ouverture de la Commission des droits de l’homme.

Riposte Laïque : On a annoncé mardi 17 mars qu’un nouveau texte négocié consensuel venait d’aboutir et que l’UE avait dans ce contexte gagné la bataille des principes. Qu’en est il en réalité ? A force de crier aux lignes rouges, et devant la mobilisation grandissante des laïques, les critiques dans de nombreux pays, notamment sur la remise en question de la liberté d’expression au travers de la mention de la diffamation des religions, la France s’est investie pour que le texte soit sauvé. Il faut dire qu’après le retrait du Canada en janvier 2008, d’Israël en octobre 2008, puis des Etats-Unis le 27 février 2009, et de l’Italie le 5 mars 2009, ainsi que des menaces pressantes des Pays Bas, du Royaume Uni et du Danemark, la France a cherché à tout prix à sauver le processus.

Malka Marcovich :

J’étais présente lors de cette fameuse réunion convoquée par Rama Yade avec différentes personnalités le lundi 2 mars, réunion qu’a évoqué BHL dans son article dans le Point du 4 mars. Les représentants du gouvernement nous ont dit qu’il était difficile de se retirer d’une conférence contre le racisme, qu’il fallait prendre en compte le message et l’image que la France transmettrait au groupe africain en cas de retrait. Fodé Sylla, ancien président d’SOS racisme, qui a eu le courage de mouiller sa chemise en 2001 en tant que député européen, s’est insurgé. Il a dit que c’était de la non assistance à continent en danger que de raisonner de la sorte, qu’il ne fallait pas prendre à la légère le danger libyen et qu’une fois encore, les discriminations en Afrique seraient passées sous silence. Il a rappelé le sort des migrants noirs dans nombre de pays arabes, du racisme entre ethnies, le génocide au Rwanda,les pygmées que l’on chasse comme des animaux dans la forêt centrafricaine, la nécessaire reconnaissance de la traite transsaharienne ou de l’esclavage actuel, toutes questions qui une fois encore seront passées sous silence en avril prochain.

Les négociateurs nous ont également dit que la France s’opposerait au concept de diffamation et qu’elle souhaitait que ces termes soient remplacés par « incitation à la haine des religions ».

Le soir au dîner du Crif, François Fillon, dans un très beau discours, a rappelé les principes que la France allait défendre, comme si les lignes rouges étaient devant, alors qu’elles ont été franchies depuis belle lurette.

Devant les pressions qui éclataient de toute part et quelle que soient les tendance politiques, de Claude Goasguen à Bertrand Delanoé, et à la suite du retrait italien, il fallait donc procéder d’urgence à une refonte radicale du texte en cours. Sous la houlette du facilitateur russe Youri Boychenko, un nouveau texte a été présenté qui est passé de 60 pages à 17 pages. Une espèce de verbiage cosmétique qui cache on ne peut plus mal la régression et la capitulation de nos démocraties. Concernant la liberté d’expression, la terminologie de diffamation des religions a en effet disparu. Il est demandé en remplacement à ce que la haine raciale ou religieuse, qui constitue une discrimination, soit interdite par la loi. Dans le même temps, le texte s’inquiète que les médias dans leurs diverses formes contribuent à l’incitation à la haine raciale ou des communautés religieuses.

Sont également mis à l’honneur les rapports du rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme qui a consacré ces 7 dernières années à traquer "l’islamophobie" et à condamner la diffamation des religions !!!

Le prix de la refonte cosmétique a un prix. Le texte qui passe sous silence les discriminations en raison de l’orientation sexuelle, la traite transsaharienne ou dans l’océan indien, les discriminations que subissent les femmes, les discriminations de caste etc., portera un coup fatal à la lutte contre le racisme, les discriminations et la xénophobie dans le monde.

Riposte Laïque : Que réponds-tu à ceux qui pensent qu’il ne faut pas déserter Durban II, et qu’y participer évite le pire ? Ces personnes disent qu’il faut aller jusqu’au bout des négociations et que l’on pourra toujours quitter en claquant la porte si on n’aboutit pas. Je pense que c’est ici la solution la pire. Je n’oublierai jamais la clameur de victoire absolument effrayante qui a suivi le départ d’Israël et des Etats-Unis en 2001, à la fin des négociations. On ne quitte pas dans la dernière ligne droite. Nous avons l’expérience de 2001. Nous avons vu l’évolution depuis sept ans. Aujourd’hui, participer c’est cautionner les dérives. Il n’y aura pas de Forum des ONG, ce qui me parraît une grave erreur. Ainsi cela renforce l’idée que seul le Forum des ONG était problématique et qu’en revanche les gouvernements étaient quant à eux responsables. Mais toutes les ONG accréditées en 2001 seront présentes. Certaines étaient formidables et n’ont pu se faire entendre. Cette idée que les ONG seraient les seules à fomenter l’antisémitisme est proprement scandaleuse. Aucune dictature n’a envie d’un Forum d’ONG. Mais circule déjà la rumeur que ce sont les ONG juives qui empêchent la tenue d’un tel forum.

Malka Marcovich :

Si la France, qui a encore une aura symbolique auprès de nombreux peuples du monde, part en ayant bradé leurs revendications, elle sortira avec une image calamiteuse. Certaines de ces associations se retrouveront face aux dictateurs et certaines ONG antiracistes qui ne défendent plus rien mais qui ont un rôle politique grandissant et participent à ces dérives, auront vite fait d’instrumentaliser pareil départ. Si la France se retire aujourd’hui en condamnant le fait que l’on ne pourra pas, encore une fois, parler du racisme dans le monde, elle sera admirée et respectée. Malheureusement, j’ai le sentiment que c’est trop tard. Le nouveau texte, présenté le 18 mars, a un drôle de petit goût nauséabond de déjà vu. Notre diplomatie crie victoire. Je ne peux m’empêcher de penser à Chamberlain et Daladier acclamés par la foule à leur retour de Munich en septembre 1938.

Riposte Laïque : Il semble que de nombreuses personnes et personnalités souhaitent partir à Genève où se déroulera la conférence entre le 19 et 24 avril. Penses-tu qu’il faut une mobilisation massive hors de la conférence ? Je sais que beaucoup de personnes qui n’étaient pas là en 2001 souhaitent se rendre à Genève. C’est moins loin que l’Afrique du sud. Et je m’inquiète aussi de ce nouveau must. On se la joue grande messe de solidarité. Des personnalités connues veulent être visible sous les projecteurs onusiens. Je trouve cela assez déprimant. Ils ne s’inquiètent guère des dérives de l’ONU depuis sept ans et certains d’ailleurs continuent de croire en la vertue de l’organisation internationale. On nous répète à longueur de temps que l’on ne doit pas dialoguer qu’avec ses amis. Certes, mais de là à rogner ce qui est constitutif de notre patrimoine universel de liberté, c’est un peu trop capituler ! Surtout lorsque l’on sait que l’on a déjà bien perdu.

Malka Marcovich :

Durban 2 à Genève sera moins pire que ce que l’on entend tous les jours ailleurs dans les différentes instances de l’ONU. Ne pas cautionner et condamner le processus, cela implique également de ne participer à aucune grande messe en marge de la conférence. En revanche je me réjouis que ceux qui ont suivi à chaque étape les négociations y aillent pour continuer de témoigner en dehors des paillettes et des lumières.

Tout cela est assez pathétique et très triste. Parfois j’ai le sentiment que le mot Durban est devenu une formidable plateforme de relation publique ou politique. Y être, en être, être sur la photo entouré des distingués délégués, c’est faire partie de l’élite d’aujourd’hui et de demain. Quel décalage avec ce que nous avons vécu en 2001, au retour et depuis sept ans.

Propos recuellis par Pierre Cassen

Blog : http://malkamarcovich.canalblog.com

Malka Marcovich est l’auteur de « Les Nations désunies », éditions Jacob Duvernet.

(1) http://www.ripostelaique.com/Malka-Marcovich-A-l-Onu-la-prose.html

(2) MAPP Mouvement pour l’abolition de la prostitution et de la pornographie et de toutes formes de violences sexuelles et discriminations sexistes.

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