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Malka Marcovich...actualité
27 mars 2009

Débat du jour : Jean-François Cadet, Radio France Internationale

Décryptage de l'émission dans son intégralité Babacar Ba, Ambassadeur de l'OCI à Genève et Malka Marcovich

Jean François Cadet : L'ONU doit elle lutter contre la diffamation des religions ? Oui estime le Pakistan et les pays de l'OCI qui ont déposé devant le Conseil des droits de l'homme, un projet de résolution qui a pour but de lutter contre la diffamation des religions, un concept rejeté par les pays occidentaux qui menacent même de ne pas venir à la Conférence de Durban 2 contre le racisme, qui doit se tenir du 20 au 24 avril en Afrique du Sud. Alors que penser de ce concept de diffamation des religions ? Faut-il y voir une volonté de condamner le blasphème, un outil de lutte contre le fameux choc des civilisations, ou serait il au contraire un instrument politique destiné à réduire la liberté d'expression, serait il le cheval de Troie de tous ceux qui remettent en cause l'universalité des droits de l'homme. On en débat ce soir avec l'historienne Malka Marcovich, vous êtes l'auteure d'un livre au éditions Jacob Duvernet, intitulé « Les Nations désUnies, comment l'ONU enterre les droits de l'homme », et avec Babacar Ba, ambassadeur de l'OCI à l'ONU, en direct de Genève.

Tout d'abord Babacar Ba, quelle définition donnez vous de la diffamation des religions ?

Babacar Ba : Le concept de diffamation des religions et un concept qui a été introduit au sein des Nations Unies depuis fin 1998. Il intègre un certain nombre de faits et gestes et comportements en direction des musulmans, non seulement au niveau du principe de la religion elle même, mais aussi des personnes qui s'identifient à cette religion. C'est le fait de stigmatiser, de mettre sous forme de stéréotypes les valeurs et principes de l'Islam et mettre les musulmans en situation de défensive, en critiquant leur comportements, leur nature, leurs valeurs.

JF Cadet : Et donc ce que vous défendez à l'OCI aujourd'hui, c'est que ceux qui critiquent l'Islam soient condamnés au niveau des Nations Unies ?

B.Ba : Si ce n'est condamner en tout cas il nous faut combattre ce genre de phénomène car comme vous le savez le rôle principal des Nations Unies, c'est d'assurer une cohésion, une certaine entente entre les populations, entre les peuples, entre les communautés. Et tout ce qui doit concourir, agir dans le sens de la désunion, d'une passion ou l'incitation à la haine entre les communautés doit être combattu.

JF Cadet : Malka Marcovich est-ce que lutter contre l'Islamophobie, ce n'est pas le rôle des Nations Unies ?

M. Marcovich : Le rôle des Nations Unies est de défendre les droits des personnes. Il existe une convention contre le racisme, ainsi qu'un certain nombre de Déclaration qui ont été émises comme celle de 1981 contre les discriminations fondées sur la religion, ou celle pour protéger les droits des personnes appartenant à des minorités nationales, ethniques ou religieuses. Les Nations Unies possèdent déjà tout un dispositif qui dénonce les atteintes aux personnes en raison de leur religion et la stigmatisation des personnes, l'appel au meurtre, à la haine en directions de personnes dans des groupes spécifiques, ce qui est différent de la diffamation des religions. D'ailleurs l'ambassadeur Ba a bien mélangé les deux concepts, ce qui constitue une atteinte contre des personnes -et évidemment il existe déjà tout un dispositif - et une atteinte contre les symboles.

La liberté d'expression doit permettre de critiquer les religions, de se tromper sur le contenu de religions – cela fait partie du débat dans des cadres démocratiques – et le droit au blasphème est droit qui doit être constitutif de toutes les démocraties.

Je voudrais vous reprendre sur un point. Vous avez dit que cette question oppose l'Occident contre l'Organisation de la Conférence Islamique, mais il n'y a pas que des pays occidentaux. Il y a aussi des pays comme le Chili ou l'Argentine qui sont opposés au concept de diffamation des religions. Et l'on ne peut pas dire que ces pays puissent être mis dans le camp des occidentaux. Ce sont des pays qui sont sortis de régimes dictatoriaux très très durs et autoritaires, et pour qui la valeur de la liberté d'expression est quelque chose qui n'est pas neutre.

JF Cadet : Babacar Ba, quand Malka Marcovich dit que vous faites un amalgame entre l'attaque vis à vis des symboles religieux et l'attaque vis à vis des personnes. Qu'est ce que vous lui répondez ?

B.Ba : Je lui réponds qu'il faut faire attention parce que en ce qui concerne les droits des individus, la liberté religieuse, la liberté d'avoir sa religion et de défendre les valeurs et les symboles de la religion sont consacrés. Donc cette liberté là est consacrée dans le cadre des conventions auxquelles elle a fait allusion tout à l'heure. Mais ce que nous disons c'est que lorsque vous parlez d'un musulman, c'est une identité, c'est la personne qui s'identifie à une religion. Donc vous ne pouvez pas faire la distinction entre la religion et la personne qui s'identifie à cette religion d'autre part. Lorsque vous parlez de l'homme musulman, il faut intégrer ses deux concepts. Vous ne pouvez pas faire d'un côté son expérience et ses valeurs et dire que nous pouvons les piétiner et mettre de l'autre côté l'homme et dire qu'il peut être protéger. Les Nations Unies protègent à la fois les individus et les personnes que les valeurs et les références auxquelles se réfèrent ces individus.

M.Marcovich : Je ne crois pas que les Nations Unies aient été créées, que la Déclaration universelle ou la Charte ou toutes les conventions aient été élaborées pour protéger quelque croyance que ce soit. Je crois qu'il y a une confusion entre ce qui relève du privé, ce qui relève des croyances, qui peut amener à des débats théologiques. Je ne suis absolument pas contre les religions. Je suis pour que l'on sépare ce qui relève de la croyance d'une personne, qu'il faut évidemment respecter les lieux de cultes, mais on a le droit de critiquer , voir de se moquer de symboles religieux. On a le droit de blasphémer. Toute cette polémique qui s'est déclenchée autour des caricatures de Mahomet, on a bien vu que certains Imams ne se sont pas considérés comme blessés, n'ont pas eu cette interprétation. Tous ceux qui défendent les droits de la personne , les droits des femmes et des hommes, considèrent que dans un monde global, les règles entre les pays et entre les individus doivent être basés sur la protection de la liberté d'expression et le droit des individus. Cela implique que l'on ait le droit de pratiquer son culte. Nous savons malheureusement aujourd'hui qu'un certain nombre de religions ne peuvent pas être pratiquées. Je pense par exemple à des villages entiers de Bouddhistes au Bangladesh sont aujourd'hui brûlés. Ça c'est effectivement des actes que nous devons poursuivre et condamner. En revanche le blasphème non.

B.Ba : Là elle me rejoint quand elle reconnaît que le blasphème, que les références bouddhistes ou autres doivent être protégées contre des attaques. Mais il faut qu'elle reconnaisse que l'Islam en tant que religion et en tant que croyance doit être protégée. Il faut ici qu'elle se réfère aux conventions qui ont été adoptées dans le cadre de l'Unesco où ses valeurs et ces références sont protégées, notamment le patrimoine, c'est comme le patrimoine culturel. Les patrimoines culturels sont protégés ainsi que les valeurs religieuses par des conventions au niveau du système des Nations Unies.

JF Cadet : Pourquoi dans le texte de l'OCI qui parle de diffamation des religions, la seule religion citée c'est l'Islam ? Est-ce que cela n'atténue pas la portée de votre texte ?

B.Ba : Lorsque le texte a été lancé dans les années 2000, le phénomène de l'Islamophobie, donc de l'attaque contre les musulmans, et la discrimination à l'encontre des musulmans était la plus flagrante. C'est à ce moment là que les pays membres de l'OCI se sont réunis pour essayer d'introduire ce projet de résolution pour se protéger, pour protéger la communauté et les minorités musulmanes contre ces attaques. Maintenant lors des négociations, nous avons dû élargir pour les autres religions avec les mêmes doléances et les même préoccupations , notamment la christianophobie ou ...

JF Cadet : Ou la judéophobie également ?

B.Ba : Et cela a été intégré. Donc si vous revoyez le dernier texte qui a été adopté cet après midi au Conseil des droits de l'homme, cette version intègre l'ensemble des religions. Nous luttons contre la diffamation des religions quelles qu'elles soient.

M.Marcovich : Je rappelle que le terme d'islamophobie a été lancé pour la première fois par l'ayatollah Khomeiny à l'encontre de Salman Rushdie parce qu'il avait écrit les versets sataniques. Et l'on connaît la Fatwa qui a pesé sur lui. J'aurais bien aimé également que l'organisation de la conférence islamique condamne lorsqu'il y a une fatwa contre une femme comme Taslima Nasreen qui est obligée de fuir de pays en pays, parce que des menaces de mort pèsent sur elle parce qu'elle a osé écrire contre la religion dont elle est issue.

CF Cadet : Mais est-ce que vous reconnaissez qu'il y a un geste en direction des autres religions à l'intérieur de la résolution contre la diffamation qui intègre d'autres religions que l'Islam ? Qu'il y a plus d'ouverture peut-être ?


M.Marcovich : Je ne crois pas que le Vatican même ait jamais soutenu une résolution autour de la diffamation des religions, et pourtant l'on sait combien le Vatican est régressif sur un certain nombre de sujet, on l'a vu dernièrement. D'après ce que j'ai suivi des débats depuis huit ans, aucune autre religion n'a réclamé qu'il y ait un texte spécifique. C'est un regroupement de pays qui se trouvent être musulmans, et je le regrette, car je sais qu'il existe un certain nombre de musulmans dans le monde qui n'adhèrent pas à cette vision du monde, mais en tout cas ce sont des états, donc il s'agit bien d'une vision du monde d'états et non pas de la religion musulmane.

CF Cadet : Babacar Ba, il y a des arrières pensées politiques dans votre combat ?

B.Ba : Pas d'arrières pensées. Nous sommes simplement contre les discriminations. Les discriminations raciales, ou l'incitation à la haine raciale ou religieuse constituent des phénomènes graves qui sont en train de menacer l'équilibre international et l'entente entre les communautés et notre seul objectif est de préserver la paix et l'entente entre les communautés. Si cela est une vision politique, alors c'est cela notre objectif. Et je crois que c'est quelque chose d'important dans la mesure où les Nations Unies elles mêmes au niveau de Genève comme de New York se sont rendus compte de la nécessité de mettre en œuvre une stratégie pour combattre ces phénomènes là. Le rapporteur spécial des Nations Unies depuis huit ans, reconnaît la nécessité de se mobiliser pour combattre ce phénomène de stigmatisation et de discrimination qui frappe les musulmans. Ce n'est pas sur un plan théologique mais sur la personne même des musulmans. Un musulman, parce qu'il est musulman, fait l'objet dans certains aéroports d'un examen assez fouillé et d'une humiliation souvent et cela est inacceptable. Souvent des personnes ne sont pas recrutées ou n'ont pas accès à des emplois du fait de leur appartenance à l'Islam.

M.Marcovich : Mais là il ne s'agit pas de diffamation Monsieur Ba, il s'agit de discriminations en raison d'une origine qui sont évidemment condamnables et qui sont déjà considérées par l'ensemble des traités internationaux. Vous parliez tout à l'heure de discriminations. Je crois qu'effectivement il est urgent que l'on se batte contre toutes les discriminations, et notamment contre un certain nombre de discriminations que subissent les femmes en raison de théories religieuses quelles qu'elles soient. Et il y a un certain nombre de pays que je n'ai pas envie de nommer ici, mais que vous connaissez aussi bien que moi où les femmes vivent une situation d'apartheid sexuel au nom de la religion. Si les normes sur la diffamation des religions continuent ainsi d'avancer, il sera pour nous impossible désormais de condamner les discriminations subies en raison des religions.

JF Cadet : Certains pays musulmans ne feraient ils pas mieux que de balayer devant leur porte ?

B.Ba : Il est évident que chacun balaye à sa porte mais il faut aussi savoir que nous vivons dans un monde globalisé. Il faut penser à l'équilibre mondial, éviter qu'il y ait des tensions entre les communautés, c'est déjà balayer devant sa porte. Il faut préserver le monde d'une certaine tension. Le lien entre diffamation et discrimination. C'est partir d'une certaine pratique de diffamation soutenue qu'il y a discrimination. A force de diffamer une religion, de stigmatiser, de diaboliser un groupe, on entraîne les autres qui n'en savent pas plus de faire des discriminations à l'encontre des personnes qui se réclament de cette religion là. Donc il y a bien un lien entre la diffamation et la discrimination. C'est cela que nous voulons démontrer à travers les Nations Unies, pour montrer que si nous voulons combattre les discriminations, nous devons d'abord combattre ceux qui utilisent un langage extrémiste pour diffamer ou discriminer des personnes en raison de leur appartenance à une religion.

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