Les perdants de Durban II: les homosexuels, les femmes et plusieurs minorités
Par Marie-Claude Martin dans Les quotidiennes
Le pire a été évité! Il n’en fallait pas plus pour que la diplomatie occidentale se dise satisfaite du texte final approuvé, plus tôt que prévu, à l’issue de la Conférence sur le racisme qui s’est tenu à Genève du 20 au 24 avril.
Dubran II efface Durban I
Durban II a-t-il réparé le traumatisme de Durban I? Oui pour Micheline Calmy-Rey qui déclarait mardi soir: «Ce texte recèle des grands principes qui nous tiennent à cœur, la liberté d’expression, les droits des femmes, il rappelle l’Holocauste (…), il rejette l’esclavage et le colonialisme. Il ne remet pas en cause les acquis…. »
Bernard Kouchner lui emboîtait le pas, affirmant que c’était une victoire contre Mahmoud Ahmadinejad, président de la République islamique d’Iran, et son discours haineux contre Israël.
7 pays condamnent à mort l’homosexualité
Moins optimiste, Malka Marcovich, historienne, consultante internationale en droits humains et droits des femmes et auteure des «Nations désunies», estime que ce texte consensuel est un échec: «Les voix des victimes n’ont pas été entendues. La discrimination sexuelle, les minorités religieuses opprimées, le Tibet, les ouïgours, l’esclavage dans certains pays d’Afrique, la discrimination de caste, la traite transsaharienne, les femmes soumises aux lois de la charia, tout cela n’a pas été évoqué.»
Un troc diplomatique
Pour obtenir le retrait de la mention «diffamation des religions» et la fin de la stigmatisation d’Israël, les pays occidentaux ont accepté en contre partie de céder sur les sujets qui fâchent, notamment l’homosexualité: 74 pays la condamnent et 7 la punissent de mort, dont l’Iran.
On verra ça la prochaine fois
Dans le texte final, il n’est fait aucune mention des discriminations, ni même des persécutions, envers les homosexuels: «On n’a pas pu, on le fera une prochaine fois», a répondu Bernard Kouchner au micro d’Europe.
Le même jour, l’ambassadeur de France à l’ONU, Jean-Baptiste Mattéi, tentait à la tribune de l’ONU, le lendemain de la signature, de rectifier le tir: «Notre combat contre le racisme passe par la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire, par la pleine égalité des femmes et des hommes, par la dépénalisation de l'homosexualité, par la lutte contre le négationnisme...»
L’Europe doit être plus offensive
Caroline Fourest, coréalisatrice du documentaire qui a été diffusé sur Arte «La Bataille des droits de l’homme», estime que Durban II a en partie sauvé Durban I, véritable traumatisme pour les démocraties mondiales. Mais elle reconnaît aussi que c’est au prix d’une négociation, dont les homosexuels sont les premières victimes. «Contrairement aux femmes qui peuvent s’en remettre à d’autres procédures, cette minorité n’est prise en charge par aucun programme onusien.»
Insister, insister
Pragmatique, elle comprend que l’on ait sacrifié une valeur contre une autre, partant du principe que «la diffamation des religions» mettait gravement en cause la liberté d’expression, et donc l’universalité des droits de l’homme.
En revanche, elle ne s’explique pas pourquoi les pays européens ne sont pas montés d’avantage aux tribunes pour répéter en quoi le racisme se manifeste aussi dans la discrimination sexuelle. «C’est en insistant, en revenant sans cesse a la charge, que les pays autoritaires ont assis leur pouvoir.»
Les rapports de force ont changé
Comment et pourquoi les pays démocratiques ont-il tant de mal à se faire entendre? Parce que depuis 1948, date à laquelle a été promulguée la chartre universelle des droit de l’homme, les rapports de force à l’ONU ont changé et le nombre des pays multiplié par quatre. Le Conseil des droits de l’homme, qui comprend 47 états, dont 17 musulmans, en est l’émanation.
Trois blocs
Les pays occidentaux sont minoritaires et les autres se répartissent en trois blocs, qui font souvent alliance: pays musulmans de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) pour qui les droits de l’homme ont un fondement religieux, pays de l’Union africaine et états non alignés, la Chine en tête, qui au nom du souverainisme se réclament du droit de non-ingérence dans leurs affaires. Chacun interprètes les Droits de l’homme en fonction de ses convictions, traditions ou intérêts, sapant lentement l’idée même son universalité.
La fin de l’universalité des Droits de l’Homme ?
«C’est ainsi, explique Jean-Claude Buhrer, auteur de «L’ONU contre les droits de l’homme» et ancien correspondant de l’ONU pour le Monde, qu’en Arabie saoudite, qui siège parmi les 47 états, le fonctionnaire chargé des châtiments corporels à la prison des femmes de Riyad refuse d’être appelé «bourreau ». Il est «exécuteur des peines religieuses», conformément à l’observance de la charia islamique dans le royaume wahhabite.»
Un nouveau Munich ?
Comparant Durban à un nouveau Munich, Malka Marcovich évoque quant à elle une sorte de syndrome de Stockholm des démocraties à l’égard des pays autoritaires.
Que l’Europe réaffirme ses valeurs
Caroline Fourest, qui s’était prononcé contre le boycott, propose quelques pistes pour résister à l’instrumentalisation des Droits de l’Homme et préserver son universalité: faire entendre les victimes, augmenter le temps de parole des ONG et réfléchir à d’autres critères pour que les pays les plus autoritaires disposent de moins de tribune, peut-être interdire la parole au nom d’un bloc. Mais surtout faire en sorte que l’Europe, en pleine dépression, réaffirme ses valeurs.
Transformer un appel en Résolution onusienne
Dans le cas de la discrimination sexuelle, elle propose que l’appel à la dépénalisation de l’homosexualité, texte proposé par la France fin 2008 et signée par 66 pays, devienne une résolution onusienne. «Ce serait d’ailleurs une bonne manière de faire bouger les rapports de force car l’homosexualité fait exploser les clivages en place.»